« Comment surmonter les paradoxes de l’innovation collective et élaborer sa proposition de valeur », présentation d’Alain Gisselbrecht, Senior Manager chez Norgatec Consulting

Lors de l’Échange d’expériences du 18 mai 2017, Alain Gisselbrecht, Senior Manager chez Norgatec Consulting, est intervenu sur “Comment surmonter les paradoxes de l’innovation collective et élaborer sa proposition de valeur ?”

Sa présentation se trouve sur le Drive de l’AMI et est accessible aux adhérents, à jour de leur cotisation.

Cette présentation vient dans le prolongement de l’article Surmonter les paradoxes de l’innovation collective paru sur la plate-forme de publication en sciences humaines et sociales Cairn Info.

 

Un environnement en transformation

Avant d’aborder un par un les paradoxes liés à l’innovation, Alain Gisselbrecht a souhaité revenir sur les transformations en cours dans nos sociétés depuis une dizaine d’années.

Pour introduire son propos, il a fait référence à Pierre Giorgini, Président-Recteur de l’Université Catholique de Lille et auteur du livre La transition fulgurante, qui considère que nous vivons une transition fulgurante d’un ancien monde vers un monde nouveau dans lequel l’innovation sera de plus en plus accessible au plus grand nombre.

Pour Pierre Giorgini, l’intelligence et l’ingéniosité prendront une place de plus en plus grande dans l’économie et ne devraient plus être réservées uniquement à des communautés d’experts. Les individus ne devraient plus se positionner seulement comme des clients de serveurs de données et d’informations, mais seront progressivement à la fois sources et destinataires de celles-ci.

 

Cette transformation en cours repose, selon Alain Gisselbrecht, sur quatre forces en action, les 4D :

  • la disruption des modèles économiques, avec l’arrivée de nouveaux acteurs qui arrivent progressivement à imposer de nouveaux modèles économiques à des acteurs économiques établis,
  • la digitalisation de l’expérience client, avec la possibilité, à tout moment et en tout lieu, d’accéder en temps réel à des offres en ligne,
  • le dé-silotage de la chaîne de valeur, qui à travers la numérisation des processus, amène à redéfinir le rôle des acteurs de la chaîne de valeur, à en intégrer des nouveaux et à en écarter d’autres,
  • la diffusion du digital en interne, avec une intégration accélérée de nouveaux usages dans les organisations liés au numérique, comme par exemple le développement du monitorat et du tutorat en ligne.

Cette transformation liée à l’innovation peut être perçue :

  • soit comme une révolution qui remet en cause les modèles économiques établis,
  • soit comme une transition d’un ancien modèle vers un nouveau.

Si les modèles économiques seront amenés, à l’avenir, à être remis en cause de manière permanente, de nouvelles propositions de valeur peuvent être élaborées en s’appuyant sur des visions nouvelles des « écosystèmes » économiques, humains et sociaux.

Pour réussir cette transformation permanente, les organisations se doivent d’être agiles, repenser leur métier et trouver des intérêts communs avec d’autres organisations sur des dispositifs d’innovation partagés.

 

Pour s’adapter en permanence, deux approches se présentent aux entreprises :

  • soit privilégier un gain par la stratégie, en choisissant des stratégies de rupture et en proposant de nouveaux modèles économiques alternatifs,
  • soit privilégier un gain par la performance, en améliorant leurs activités existantes et en les faisant évoluer vers plus de rentabilité.

Dans les deux cas, cela implique de faire autrement collectivement.

 

Les six paradoxes identifiés

Les paradoxes de l’innovation collective viennent généralement :

  • remettre en cause des certitudes ou des logiques établies,
  • contredire les idée reçues,
  • illustrer la complexité parfois contradictoire vécue sur le terrain sur la réalité concrète des actions à mener.

Les paradoxes sont liés à :

  • l’opposition initiative individuelle versus le travail collectif,
  • la tension entre un désordre créatif souhaité et une méthode à respecter pour aboutir à des résultats,
  • la nécessité de devoir gérer simultanément des temps courts et des temps longs.

 

Premier paradoxe

Le premier paradoxe porte sur le fait que si l’innovation repose généralement sur un collectif, les idées, elles, ont pour origine des individus.

Deux questions se posent alors :

  • Est-il possible de mettre tous les individus en posture d’innovation ?
  • N’existe-t-il pas un risque que l’individu soit noyé dans le collectif ?

Selon Alain Gisselbrecht, pour que les individus adoptent une posture d’innovation, il convient de respecter un protocole lors d’une phase individuelle, qui les autorise à se sentir libre d’innover pour qu’ensuite ils puissent converger lors d’une phase collective. Ce protocole s’oppose habituellement au processus de management traditionnel, qui incite les individus à se focaliser sur l’atteinte des résultats.

Pour arriver à dépasser cette tension, entre volonté de libérer l’intelligence collective des individus et management directif qui pousse les individus à s’aligner sur l’atteinte des résultats, il est nécessaire de les faire préalablement bricoler ensemble et d’inverser la présomption de compétence.

Pour y arriver, il faut laisser libre court à leur créativité et recourir à des “objets frontières” qui permet à un collectif d’apprendre à se connaître et à construire ensemble.

Exemples d’objets frontières

 

Second paradoxe

Le second paradoxe est de considérer que le collectif, en innovation, ne se résume pas à une collection d’individus.

Chaque personne a des choses uniques à apporter. S’il est possible à travers un collectif d’avoir une diversité de points de vue, il peut parfois suffire d’un individu pour que la créativité du collectif aboutisse à un tout autre résultat.

Deux questions se posent alors :

  • Peut-on manager le collectif pour qu’il ne soit pas juste une somme d’individualités et qu’en même temps il tienne compte de toutes ces individualités ?
  • Est-il possible d’exprimer librement sa personnalité dans un collectif ?

Les collaborateurs veulent pouvoir, à la fois :

  • trouver un équilibre entre vie privé et vie professionnelle, tout en ayant un sens dans l’engagement de ce qu’ils font,
  • avoir un épanouissement personnel et l’acquisition de nouvelles compétences,
  • être libre dans leur travail et avoir le choix dans leur méthode de réalisation.

Est-ce une question d’âge ou de génération ?

Pour Alain Gisselbrecht, non, les collaborateurs, comme les entreprises, veulent tout à la fois.

Pour que le collectif ne soit pas juste une somme d’individualités et qu’en même temps il intègre toutes les individualités, le management doit faire preuve, en même temps :

  • d’ouverture aux autres,
  • d’empathie pour faciliter le dialogue,
  • d’humilité pour permettre la coopération,
  • d’expérimentations pour préparer la mise en oeuvre de l’innovation.

 

Troisième paradoxe

Le troisième paradoxe est le fait que l’innovation semble parfois sortir du hasard, être le fruit de rencontres ou de déclics « improbables ».

Les questions qui se posent alors sont :

  • Les individus ou le collectif de travail peuvent-ils être préparés à tirer profit du hasard ?
  • Est-il possible d’apprivoiser le hasard ?

Pour y arriver, il ne faut pas hésiter à fonctionner en mode itératif, à favoriser les interactions entre individus sans jugement préalable et être en capacité de transformer les organisations pyramidales en équipes projets qui interagissent.

 

Quatrième paradoxe

Le quatrième paradoxe est de considérer qu’il y a une différence entre créativité et innovation.

Deux questions se posent alors :

  • Comment, à travers la créativité, diverger de ce qui se pratique déjà, pour in fine, converger vers l’innovation voulue ?
  • Est-il possible d’introduire des contraintes dans la spontanéité ?

Pour Alain Gisselbrecht, l’innovation est une question de timing. Il est tout à fait possible de laisser la créativité s’exprimer à un moment pour converger par la suite vers un résultat commun. C’est une question d’équilibre à trouver entre divergence et émergence. Il faut créer les conditions propices pour que l’imprévu puisse surgir.

 

Cinquième paradoxe

Le cinquième paradoxe porte sur le fait que l’innovation doit intégrer à la fois le présent dans le futur et le futur dans le présent.

Les questions qui se posent alors sont de savoir :

  • Comment concilier ces horizons de temporalité différents que sont les temps longs et les temps courts ?
  • Quel type de chemin faut-il prévoir pour y arriver ?

Il faut réussir à avoir, en même temps, des premiers résultats à court terme et préparer l’avenir pour pouvoir bénéficier par la suite de résultats.

S’il ne faut pas faire de promesses qui ne pourront être tenues, les temps d’attente pour obtenir des résultats sont de plus en plus courts.

Le consommateur n’est pas intéressé par une idée, mais veut pouvoir éprouver un concept décrivant les bénéfices qu’il retirera de l’utilisation du produit ou du service.

Quel doit être en conséquence la proposition de valeur qui doit lui être faite ?

Comment peut-elle être mise en oeuvre ?

Une des réponses est de passer d’un mode de gestion de projet classique, centré sur les coûts, les délais et les périmètres d’activité, vers un processus itératif qui alterne planification, collaboration et livraison.

L’enjeu est de savoir quelles hypothèses tester et à quel moment. Il n’est plus possible d’imiter simplement la concurrence, il faut être en capacité, à chaque étape d’avancement, de savoir préalablement évaluer la faisabilité de ce qu’il est souhaitable de faire.

 

Sixième paradoxe

Le sixième paradoxe est que l’innovation a pour conséquence de transformer fortement les pratiques, alors même que cette transformation prend du temps.

Les questions qui se posent alors sont de savoir :

  • Est-il possible de faire prendre la greffe au sein de sa propre organisation et dans ses pratiques existantes ?
  • À quel rythme faut-il attendre des résultats et sous quelle forme (innovation de rupture ou incrémentale, optimisation ou passage par des crises, choisir de ne rien changer,…) ?

Pour que l’innovation puisse se déployer réellement, il faut se laisser du temps sans aller trop vite. Il faut être en capacité de concilier temps courts et temps longs et ne pas hésiter à pivoter, si nécessaire.

En fonction des résultats attendus, les dispositifs d’innovation à mettre en place ne sont pas les mêmes. Il y a de grandes différences entre une volonté d’innovation de rupture et une incrémentale qui vise l’optimisation.

Pour être sûr d’aboutir à des résultats concrets, il faut revenir aux raisons qui ont poussé l’organisation à se lancer dans ses projets.

Il ne faut jamais se dire que l’organisation part d’une page blanche, mais être en expérimentation permanente en sélectionnant de nouvelles hypothèses à tester. L’innovation qui réussit, tient nécessairement compte du contexte préexistant et ne naît pas ex-nihilo.

Il faut piloter des cycles permanents, qui permettent de passer de phases d’idéation à des propositions de valeur, à des hypothèses à valider, au déploiement et à l’acquisition de solutions, à la définition de nouveaux problèmes pour aboutir à la recherche de nouvelles solutions et cela de manière itérative.

Les nouvelles générations sont demandeurs de ce type de fonctionnement, mais cela implique qu’un nouveau contrat de confiance soit mis en place et qu’une hybridation des approches soit possible. Il faut favoriser l’aptitude à apprendre, développer l’esprit critique et proposer des dispositifs d’innovation adaptés. Le fait que les collaborateurs vivent des expériences d’innovation les fidélise.

Il n’y a pas de voie unique dans l’innovation, ce qui marche c’est de co-innover avec les autres, les idées pouvant venir de partout. Ce qui compte c’est d’avoir un pilotage et une gestion rigoureuse qui permettent d’aboutir à des résultats.

 

Pour ceux qui souhaitent aller plus loin, Alain Gisselbrecht leur conseille de lire le numéro 30 de la revue d’Entreprendre & Innover qui porte sur le thème “L’innovation au pluriel”.

 

1 réponse

  1. 19 juillet 2017

    […] Jean-Pierre Léac dans ses cahiers de l’innovation ou Alain Gisselbrecht lors de son intervention au sein de l’AMI, les paradoxes sont nombreux dans le domaine de […]

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