Pouvons-nous inventer le futur avec l’état d’esprit du passé ?

 

Je vous ai déjà parlé de l’envie comme pilier de l’innovation marketing dans un précédent article. Et je vous précisais que ce qui fait vraiment la différence, ce sont les hommes et les femmes qui mettent en vie les projets d’innovation pour inventer le futur. J’ai eu dernièrement le bonheur d’interviewer Olivier Bas, Vice-Président d’Havas Paris. Il aime à se définir comme un « créateur d’envie ». En 25 ans, il a conseillé près de 200 entreprises et leurs dirigeants, pour les accompagner dans leurs transformations.

Dans son dernier ouvrage, « L’Envie, une stratégie » (Dunod -2015), il promeut une approche nouvelle démontrant que l’efficacité dépend de l’humeur, que l’inventivité est une affaire d’enthousiasme, que le plaisir et la performance sont faits pour s’entendre. Il enseigne à la Sorbonne Nouvelle-Paris III dans le cadre du Master II communication des institutions et des entreprises et nous livre ici quelques conseils pour inventer le futur.

Pouvons-nous inventer le futur avec l’état d’esprit du passé ?

Olivier, pourquoi, selon toi, toutes les entreprises se sont lancées dans une course effrénée à l’innovation ?

Avec la digitalisation des relations économiques, politiques et sociales, nous sommes au cœur de la 4e révolution industrielle. L’agriculture a sédentarisé l’humanité, l’imprimerie lui a permis de diffuser la connaissance, la machine à vapeur a mécanisé le travail et facilité les échanges. Cette 4e révolution est une accélération vertigineuse des 3 précédentes : vivre une multitude d’expériences en restant chez soi, accéder à un savoir infini en quelques clics, dématérialiser l’économie et désintermédier le commerce.

Mais cette révolution digitale remet aussi en cause quelques-un des fondamentaux qui ont longtemps structuré notre rapport à l’autre, au temps et au monde. J’en observe au moins cinq :

  • La volonté d’inscrire son action dans le temps long est balayée par la frénésie de l’urgence et de l’immédiateté.
  • Ce ne sont plus les positions dominantes qui donnent le coup d’avance mais le mouvement. La puissance n’est plus rien face à l’agilité.
  • La nouveauté est élevée au rang de dogme au point que tout ce qui ne vient pas d’être inventé est déjà vieux.
  • L’expertise n’a de valeur que si elle est transcendée par la culture du CO (co-working, collaboratif, co-production, etc.).
  • L’autorité n’a plus rien de statutaire. Elle est devenue contingente à un savoir ou une capacité d’entraînement. Plus elle encourage l’entraide et l’intelligence collective, plus elle est légitime.

Ce sont ces changements de paradigmes qui ont érigé l’innovation au rang de graal pour toutes les entreprises. Les entreprises ont toujours innové. Ce qui change, c’est la valeur stratégique de l’innovation. Autrefois, elle leur donnait un avantage concurrentiel ; aujourd’hui, c’est une condition de leur survie.

Comment entretenir cette dynamique d’innovation vitale ?

Ces changements de paradigme ont aussi transformé la manière d’innover. L’innovation, ce n’est plus seulement des ruptures brutales engendrées par les découvertes d’une poignée d’initiés. Elle réside dans la faculté du collectif à stimuler et nourrir en permanence l’inventivité de chaque collaborateur.

Certes, les organisations, les processus et maintenant toutes les méthodes dites agiles sont essentielles. Ce sont des conditions nécessaires, mais elles ne sont pas suffisantes. Selon moi, c’est l’individu dans son envie (ou pas) d’être inventif qui alimente la puissance innovatrice d’une entreprise. N’oublions pas que ce qui est à la base de toute innovation, c’est la capacité des individus et des équipes à penser le futur différemment et l’envie de le rendre possible. Posons-nous cette question simple : « Pouvons-nous inventer le futur avec l’état d’esprit du passé ? ». Ainsi posée, la réponse est évidente. La bonne question est donc plutôt : « Comment faire pour que chacun soit moins conservateur et plus créateur ? ». Nous touchons là une des raisons essentielles de l’inventivité.

Innovation participative

J’accompagne beaucoup d’entreprises dans leurs démarches d’innovation participative. Cela m’a amené à étudier les mécanismes de conservatisme qui freinent l’engagement. Le conservatisme repose en grande partie sur la peur de l’échec, l’inquiétude face à la nouveauté, l’aversion au risque. Ces émotions négatives génèrent des comportements bien connus, symbolisés par des phrases que nous avons tous entendues. Le « c’était mieux avant » de ceux qui s’accrochent à leurs certitudes comme à une bouée de sauvetage, le « on a toujours fait comme ça » de ceux qui reproduisent leurs habitudes de pensée de manière mécanique et le redoutable « oui, mais le problème, c’est… » de ceux qui refusent toute prise de risque tout en donnant l’impression qu’ils ne sont pas fermés à la nouveauté.

A l’inverse, un climat émotionnel positif est la base des comportements qui entretiennent la créativité : l’empathie vis-à-vis des autres et l’ouverture au monde qui fondent la curiosité, l’audace qui permet de faire des choix différents, hors du cadre sans en redouter les conséquences, la confiance en soi qui fait que l’on pense différemment sans craindre d’être jugé ou mis à l’écart.

Comment créer ce climat émotionnel positif dans les entreprises et ainsi stimuler l’inventivité ?

J’aime beaucoup cette maxime : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons plus qu’elles deviennent difficiles ». L’enjeu est donc de retrouver l’envie d’oser. Il y a souvent entre une inquiétude inhibante et un défi stimulant un simple écart de perception. Pour une équipe marketing par exemple, la recherche d’un nouveau produit peut être perçue comme une menace ou comme un challenge. Ceux ou celles qui focaliseront sur les risques potentiels d’un échec (pertes de part de marché, pertes financières, pertes de crédibilité de la Direction marketing) seront stressés ou tétanisés par l’enjeu. Les sportifs de haut niveau connaissent parfaitement ce mécanisme qui accroît ou diminue leur chance de succès.

La valeur ajoutée du manager ou du pilote innovation est de réorienter positivement la torche attentionnelle des équipes. D’abord, en les invitant à se remémorer les succès similaires dont elles sont fières. Car leur capacité à inventer demain repose très largement sur la confiance qu’elles ont engrangée hier. Ensuite, il s’agit de mettre en avant les avantages et les bénéfices futurs que l’on retirera de l’innovation. Enfin, Il faut favoriser l’expression des hésitations, des doutes, des inquiétudes. Parler n’a pas en soi un effet bénéfique, mais partager ce que l’on ressent est rassurant. Cela renforce les liens et restaure le sentiment d’appartenance à un collectif solidaire où l’entraide est possible.  Se rappeler le meilleur du passé pour se projeter dans le meilleur du futur tout en renforçant les liens sécurisants. Voilà entre autres ce qu’il faut faire.

L’ingéniosité et l’inventivité sont les deux moteurs qui boostent la capacité d’innovation d’un individu. L’ingéniosité est une affaire de compétence. L’inventivité est une affaire d’envie et ce sont les émotions positives qui en sont l’oxygène.

1 réponse

  1. 13 juillet 2018

    […] eu le bonheur de rencontrer de nouveau cette année Olivier Bas, Vice-Président d’Havas Paris. Souvenez-vous dans son précédent ouvrage, « L’Envie, une stratégie » (Dunod -2015), il promouvait une […]

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