Au nom de l’innovation, désobéissons !
J’ai eu le bonheur de rencontrer de nouveau cette année Olivier Bas, Vice-Président d’Havas Paris. Souvenez-vous dans son précédent ouvrage, « L’Envie, une stratégie » (Dunod -2015), il promouvait une approche démontrant que l’efficacité dépend de l’humeur, que l’inventivité est une affaire d’enthousiasme, que le plaisir et la performance sont faits pour s’entendre. Je lui ai demandé pourquoi il avait décidé de publier un nouveau livre – intitulé # like ton job « Comment vivre avec bonheur la transformation digitale ». Il m’a donné un conseil très particulier : pour inventer la formule d’un job épanouissant, et au nom de l’innovation, désobéissons !
Au nom de l’innovation, désobéissons !
Olivier, dans ton nouvel ouvrage # like ton job tu prônes, au nom de l’innovation, la désobéissance constructive. De quoi s’agit-il ?
Il y a plus de 80 ans, Joseph Schumpeter publiait son œuvre majeure Théorie de l’évolution économique. On y trouve les bases d’une théorie de la croissance économique. Celle-ci substitue à l’équilibre des marchés et à l’optimisation des facteurs de production, l’innovation technique et l’esprit aventurier des entrepreneurs.
Parce qu’elle évolue, la technologie pousse des pans entiers de l’activité économique à disparaître. Et d’autres à émerger jusqu’à devenir dominants. Des innovations qui arrivent en « grappes », au cœur des phases de dépression, quand la crise bouscule les positions acquises. La crise rend possible l’exploration d’idées nouvelles, créatrices d’opportunités.
L’entrepreneur quant à lui est prompt à sortir des sentiers battus et à envisager autrement ce que la raison, la crainte ou l’habitude nous dictent de faire. Anticonformiste, il n’a de cesse de vaincre les résistances qui s’opposent à toute nouveauté. Un entrepreneur que Schumpeter dissocie clairement du dirigeant d’entreprise, simple gestionnaire, ou du capitaliste qui ne s’intéresse qu’au rendement de ses investissements. Un entrepreneur stimulé par un ensemble de mobiles irrationnels, comme la volonté de laisser une trace, le goût de la nouveauté ou la joie de donner vie à des idées originales.
Nous sommes aujourd’hui au cœur d’une période propice à l’application des théories schumpétériennes.
Une période où de jeunes générations sont fortement attirées par l’entrepreneuriat, des salariés fortement incités à développer un état d’esprit « d’Intrapreneur » et avec une profusion d’innovations issues d’une foultitude de start-up. A cela s’ajoute une avancée majeure de la transformation digitale : la promotion des organisations moins pyramidales, des logiques de projet qui transcendent les périmètres, des méthodes de travail plus inspirantes et des fonctionnements plus collaboratifs.
Et les conditions semblent être progressivement réunies pour que se développe une agilité créative. Mais est-ce suffisant pour libérer l’inventivité ? Ne faut-il pas inviter nos entreprises à un examen de conscience pour qu’elles laissent s’installer le règne du libre arbitre au cœur des équipes et des communautés professionnelles ?
Nos entreprises nous soumettent en effet à une double contrainte qui nous plonge souvent dans l’immobilisme.
« Soit autonome mais applique la règle », « Respecte les normes et les procédures mais fait preuve d’initiative ». Nos entreprises sont des machines à fabriquer des injonctions paradoxales qui avec le temps font de nous des schizophrènes en puissance. Obéir ou désobéir ? Respecter ou braver l’interdit ?
Comme nos entreprises craignent le désordre mais veulent du mouvement, alors sublimons l’interdit, sortons du cadre, ce sont nos désobéissances constructives qui sont à l’origine de nos idées les plus judicieuses. Le contre-exemple qui confirme la règle, l’initiative qui génère une nouvelle référence, l’inventivité qui déplace les lignes… Voilà où se situe nos vraies marges de manœuvre, l’espace qui nous confère une liberté.
Tu défends aussi l’idée qu’un entreprenant-créatif sommeil en nous. Comment le réveiller ?
Oui, soyons entreprenant. Une bonne fois pour toute, ne renonçons plus. Poussons jusqu’au bout nos idées, jusque dans leur dernier retranchement pour qu’elles abdiquent ou adviennent. Personne, mieux que nous ne peut dessiner le projet que nous avons en tête. Plutôt que de vouloir obtenir l’aval de nos chefs avant de nous y engager, engageons-nous. C’est notre détermination qui créera leurs adhésions.
Préférons à la peur de l’échec, le plaisir de l’essai.
Comment pouvons-nous espérer être inventif si nous passons notre temps à chercher dans le regard des autres une approbation, et dans leurs avis une autorisation ?
Nos entreprises sont peuplées de mauvais conseillers qui n’ont plus le courage de faire et veulent nous décourager avec eux. Des frileux qui soufflent le chaud et le froid, des hésitants chroniques dont les crises de perplexité aiguë contaminent nos propositions, des gentils paresseux qui dépensent tout ce qui leur reste d’énergie pour produire de l’inaction.
Consciemment ou inconsciemment, nous cherchons souvent à nous présenter aux autres sous un jour favorable. Une quête de désirabilité sociale pour de ne pas être stigmatisé. La peur d’être rejeté, de ne pas être apprécié, la recherche systématique de l’approbation d’autrui, nous coupent de notre originalité, au point de faire de nous des copies incolores. Mais dans un univers changeant, face à des situations sans cesse renouvelées, cela finit par faire de nous des girouettes qui n’indiquent rien d’autre qu’un sens giratoire.
A ne jamais avoir confiance en notre « boussole » intérieure, nous nous perdons dans les tendances indécises du moment.
Plus l’époque est foisonnante et les idées bouillonnantes, plus il nous faut nous affirmer, crier haut et fort notre petite voix intérieure. La seule chose à laquelle nous nous devons d’être conformes, c’est nous même. Suivons nos intuitions, et d’autres les suivront avec nous. A l’instinct et dans l’instant, nous avons nous aussi une incroyable capacité à avoir du flair.
Notre capacité à être inventif n’est-elle pas aussi une affaire de compétence ?
La créativité n’est pas une compétence, pas plus qu’elle n’est une aptitude. Les scientifiques n’ont jamais vraiment identifié une « zone de créativité » dans nos cerveaux. Tout au plus, un hémisphère droit, siège de l’intuition et de tout ce qui relève de l’analogie et des émotions. Jusqu’à ce que des études récentes montrent que cette division n’est pas aussi marquée et qu’elle varie selon les individus.
La créativité est en définitive un choix entre deux positions : ouvert (aux autres, sur le monde, à la différence, etc.) ou fermé (sur soi, aux idées des autres, etc.).
La créativité n’est que le produit de nos choix. Celui de la répétition familière qui nous sécurise ou, au contraire, du combat contre la routine lénifiante. Celui de la recherche de perfection qui inhibe notre volonté, ou celui des tâtonnements, et des coups pour rien, qui ouvrent de nouvelles voies. Celui du conformisme, qui nous enferme dans le respect scrupuleux de modèles imposés par les autres, ou celui de la désobéissance aux certitudes des autres. Pratiquons notre propre examen de conscience en cessant de nous abriter individuellement derrière des excuses : « on n’a pas le droit », « on ne nous donne pas les moyens », « on ne nous demande pas notre avis »… une litanie de mauvaises raisons qui nous donne bonne conscience.
C’est la contrainte qui créée l’innovation car il nous faut alors sortir du cadre.
Ce sont les carcans qui nous rendent créatifs car ils nous obligent à penser en dehors des servitudes. Cessons de ressembler à des adolescents insatisfaits et critiques de tout ! Adolescents incapables de faire des propositions fructueuses par manque de confiance en eux. Laissons s’exprimer notre pulsion de vie. Un manque ? créons ! une frustration ? osons ! une contrainte ? désobéissons !
« Le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais apparaît à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à le ruiner » nous dit Schumpeter.
Soyons neufs, chaque jour, et nous ne ferons jamais partie des ruines.